Le corps tenségritif

Une technique basée sur le concept de tenségrité et une branche de l’ostéopathie en approche tissulaire.

Utilisé comme modélisation en biomécanique cellulaire pour expliquer la solidité des structures, le principe de tenségrité biologique a été emprunté à l’architecture. Les structures de tenségrité sont des systèmes réticulés constitués, dans l’espace, d’éléments quasi rigides, isolés et comprimés par un réseau continu d’éléments élastiques en tension. Le système est donc auto-contraint : c’est l’ensemble des forces élastiques (= filaments d’actines ou microfilaments du cytosquelette cellulaire ; par extrapolation, au niveau corporel, les muscles/tendons/ligaments) qui s’exercent sur le squelette des cellules (= microtubules du cytosquelette ; par extrapolation, au niveau corporel, les os) qui maintient solidement la forme de chaque cellule et, par extension, de l’ensemble de l’organisme.

Schéma d’une cellule animale et de son cytosquelette (source J. Balzeau) que l’on peut comparer avec la photo en en-tête de la Needle Tower (source Kenneth Snelson, Kröller-Müller Museum) : visualisation de la tenségrité en architecture et en biologie → piliers solides et denses ou microtubules (matière en compression) reliés entre eux par des câbles fins et élastiques ou microfilaments (matière en tension) = résistance et souplesse de la structure.

Ainsi, un corps, de sa base fonctionnelle, la cellule, à l’assemblage de ses organes, tissus et fascias pour former un tout, EST tenségritif. C’est ce qui nous donne tout à la fois résistance et souplesse. Cela confère un grand pouvoir d’adaptabilité à la structure, qu’elle soit d’origine biologique ou non, selon les conditions environnementales externes et internes auxquelles elle est confrontée. On parle de résilience. D’abord employé en physique pour déterminer la résistance aux chocs des matériaux, on peut aujourd’hui appliquer ce terme à la biologie et à la psychologie pour définir cette capacité singulière dont tout être du monde vivant est doté afin d’absorber-équilibrer-évacuer au mieux les traumatismes physiques et/ou psychiques. Le corps « vibre » au rythme de la vie et est ainsi capable de « résonance » que l’ostéopathe mesure via la qualité du Mouvement Respiratoire Primaire (MRP) et sur lequel la tenségrité s’appuie pour résoudre ses tensions et compressions. Et nous revoici à évoquer plusieurs des principes fondamentaux de l’ostéopathie : la relation structure-fonction, l’adaptation-compensation et le retour à l’homéostasie.

Ce concept ouvre des perspectives incroyables vers l’appréhension de beaucoup de pathologies (défauts de croissance, pathologies à variables neurologiques,…) mais aussi vers des phénomènes de motifs fractals voire de la physique quantique… Passionnant donc!

Exemple d’un motif fractal : répétition d’une structure mathématique présente à toutes les échelles d’observations de l’objet.

Concernant le soin en vision tenségritive, que nous appelons communément en ostéopathie Force de Traction Médullaire (FTM), il est court (10-15 min pour les plus à l’aise d’entre nous avec cette pratique) ce qui ne l’empêche pas d’être très puissant. Pour avoir été moi-même patiente de cette technique, les résultats et les effets de la FTM sont forts et peuvent être considérés comme un « reset » des fonctions physiologiques et mécaniques.

Utilisé avec conscience et confiance, c’est simple, rapide et efficace. Vous me verrez certainement le mettre en application sur vos animaux, couplé ou non à d’autres techniques selon les cas, telles que les techniques réflexes, le crânien et/ou le viscéral.

A l’origine de ce concept il y a un chirurgien espagnol, Miguel B. Royo-Salvador, qui détermine l’apparition d’une tension intrinsèque, essentielle à la bonne conduction des messages nerveux, de la moelle épinière à partir du deuxième tiers du développement embryonnaire. Se basant sur ses travaux, l’espagnol Antonio Ruiz de Azua Mercadal, élabore une nouvelle technique en ostéopathie dès 2002. En France, c’est Patrick Chêne, ostéopathe humain et animalier (et accessoirement vétérinaire), qui contribuera au développement de la FTM.

Le soin par la restauration du corps tenségritif s’appuie sur quatre grands axes à traiter, le tout se mêlant intimement avec la notion de MRP et à ce qui lui est inhérent : la Force de Traction Médullaire, la torsion physiologique du bassin, les hélices fasciales et les loges viscérales.

  1. La Force de Traction Médullaire ou FTM : anatomiquement, le seul lien qui part du crâne et qui va jusqu’au sacrum (coccyx) c’est le système nerveux central (SNC) dans son ensemble (nerf optique, encéphale, tronc cérébral, moelle épinière et filum terminal) et pour lequel il existe une tension normale et physiologique. Vous pouvez donc voir la FTM comme une corde qui démarre au crâne depuis les yeux et va se terminer au bout de la queue par le ligament sacro-coccygien. Le praticien propose à l’animal de prendre appui sur lui en différents points de son SNC afin de libérer les deltas de tensions ou compressions corporelles trop importants. Et, bien que cela puisse paraître paradoxal, c’est dans la détente de la moelle épinière que l’on retrouvera la tension juste et nécessaire au déclenchement du processus de l’homéostasie. Le traitement consiste alors en l’application d’une compression, via le sacrum, sur la moelle épinière afin de la libérer de toutes rétentions tissulaires. En effet, le bon fonctionnement de la FTM se traduit par la capacité de la moelle épinière à moduler sa tension selon son environnement (expression corporelle, stress physique/psychique…). Cette tension est physiologiquement basse au repos et adaptative en mouvement. Une dysfonction se manifestera (dans la grande majorité des cas) par une incapacité à la diminution de cette dernière au repos. Par ailleurs, on distingue deux fragments de FTM, l’un dit adulte et l’autre dit embryonnaire.
  2. La torsion physiologique du bassin : le corps n’est pas symétrique, souvent le pied gauche est plus fort que le droit, le cœur est plus à gauche qu’à droite,… il n’y pas de plan médian véritable. De même, toutes les protéines (idem fibres de collagène) forment des hélices dextrogyres (en sens horaire) amorçant le mouvement vers la gauche. Par la théorie des fractales, nous sommes également en forme d’hélice. La torsion physiologique est donc faite en hélice gauche et il est alors plus facile de compresser le corps vers la gauche pour décompresser naturellement vers la droite. Le bassin se trouve être dans ce schéma le point de levier le plus évident et le plus efficace pour amorcer une nouvelle inertie pour cette hélice si le besoin s’en fais sentir.
  3. Les hélices fasciales : l’hélice fasciale du tronc passe sur le dos aux points d’inflexions du rachis et sur le ventre au sommet des arcs. Elle s’amorce dans un mouvement vers la gauche puis se poursuit par une spirale dextrogyre (sens horaire). On retrouve également cette structure, virtuelle et sur le plan des fascias superficiels, autour de chaque membre. Elles suivent toutes le mouvement amorcé par la torsion du bassin
  4. Les loges viscérales : les viscères sont assemblés en zones, appelées loges, séparées par les diaphragmes. On retrouve donc une loge abdominale, une loge thoracique, une loge cervicale et une loge crânienne. Elles finissent d’encaisser tensions et compressions qui n’auront pu trouver d’autres espaces en amont (FTM, torsion du bassin ou hélices fasciales) pour se cristalliser et sont par conséquent les dernières à devoir être traitées dans cette approche globale du soin ostéopathique en respectant, pareillement que les hélices, le mouvement physiologique du bassin.

Pour une image plus simple du fonctionnement de ce système, visualisez un collier de perle pour figurer la colonne vertébrale : le fil correspond à la moelle épinière, les perles à vos vertèbres. Une tension élevée sur le fil induit une restriction de mouvements proportionnelle des perles ; elles n’ont plus la possibilité de s’exprimer pleinement dans les trois plans dimensionnel, le système est grippé. Et dans le cas d’une tension nulle sur le fil, les perles s’emmêlent ; le fil est trop lâche, il fait des nœuds, le système est discontinu. Le collier idéal est ajusté : son fil présente une tension équilibrée, ni trop élevée, ni trop basse et permet en conséquence une bonne mobilité des perles sur tous les plans et avec un espace entre elles modéré.

Vous l’avez compris, ce protocole est, certes, très rapide mais puissant. Il soulage les dysfonctions et rétentions presque dans l’immédiat pour certains cas. On peut également y inclure une lecture de l’état émotionnel du patient ainsi que de son état énergétique en y apportant une dimension appartenant à la Médecine Traditionnelle Chinoise.

On remarque aussi que c’est généralement l’animal qui guide le soin en venant de lui-même chercher la tension dans la main du praticien pour trouver à résoudre ses problèmes. Nous ne sommes qu’un appui pour qu’il puisse se « dérouler » de lui-même. Ceci est particulièrement visible pour les chevaux et autres grands mammifères pour lesquels la force que l’on exerce de prime abord ne suffit pas, du moins de leur point de vue de patient. Il n’est alors pas rare de devoir nous caler contre un mur pour satisfaire leur besoin de tension et de densité là où le contact peau animale et main du praticien se fait. Mais c’est toujours un plaisir, après avoir manqué de se faire parfois marcher dessus, de les voir se détendre, soupirer profondément ou bailler à s’en décrocher la mâchoire.

Ceci étant dit, il n’y a nul miracle. La santé est un Tout. L’ostéopathie vient aider-soutenir-soulager ce Tout à maintenir son homéostasie mais ne peut aucunement le remplacer dans son travail propre. En tant que praticienne je ne suis pas non plus Dieu, je n’ai pas le pouvoir de Vie ou de Mort… Je fais tout ce que je peux pour vos animaux et vous, tout ce qui est en mes capacités. Et parfois, malgré les efforts, les espoirs, la dissonance persiste… C’est ainsi. Tous problèmes de santé ne trouvent pas toujours de solutions claires, nettes et immédiates mais tous peuvent être accompagnés d’une façon ou d’une autre sur la voie de la guérison ou la possibilité d’une issue plus sombre. Le traitement en tenségrité, bien qu’il soit par bien des cotés impressionnants, n’a pas réponse à tous les maux et ne convient pas non plus à tous les patients. Pour ceux à qui le protocole correspond cela reste cependant une technique que j’apprécie beaucoup et que j’utilise très fréquemment depuis ma formation à cette approche. Vous aurez donc probablement l’occasion de me voir la mettre en œuvre sur votre poilu un jour ou l’autre.


Avertissement : la brève description du mode opératoire dans cet article ne permet pas la compréhension entière et nécessaire à la mise en pratique de la technique par un particulier ou un professionnel non formé! Cet écrit a seulement pour but de vous apporter une vision plus claire de la FTM que j’utilise très régulièrement sur le terrain auprès de vos animaux.


Sources :

  • https://www.revue.sdo.osteo4pattes.eu/
  • Biotenségrité – La base structurelle de la vie, Graham Scarr, Editions Sully, 2015
  • La vie tenségritive – Une vision ostéopathique, Patrick Chêne, Editions Sully, 2020
  • Le Corps tenségritif, Patrick Chêne, Editions Sully, 2022

Co-écrit avec Camille Autexier – ostéopathe animalier OA 175